Comment faire une série à suspens en 5 leçons ?
J'ai eu l'occasion au cours de ma longue vie de blogueuse, de découvrir de nombreux projets innovants et d'encore plus nombreux programmes télé. Rarement les deux à la fois.
Deux fois seulement ai-je été surprise par ce qu'on m'a proposé. Les 2 fois, cela concernait une série télé au format ou au dispositif inattendu Cell et Cut.
L'une s'est évaporée dans une forme rare de droit à l'oubli tandis que l'autre démarre lundi 30 septembre à 18 h 45 sur France O.
C'est donc au travers de l'étude comparée de ces 2 séries que je me propose de vous apprendre à créer une série à suspens en 5 leçons.
Numéro 1
Et le faire savoir : Une intrigue immersive et addictive… un pur concentré d'adrénaline ... Avec une réalisation efficace, un rythme infernal qui plongent les internautes dans un univers très proche des séries Prison Break, 24 Heures ou encore du film Cube…
Ne pas hésiter à s'inspirer de films cultes, même sans raison, ça marche toujours.
Exemple "tiens, on est deux mecs et une fille, ce serait pas trop la classe que l'un de nous sorte une phrase super courte et qu'ensuite on mette tous ensembles nos lunettes de soleil avant de marcher dans le couchant ?"
A partir de là, il est bon de réaliser ce qu'on appelle un saut créatif.
Par exemple, au lieu de découper des gens avec des tronçonneuses, vous découpez carrément les épisodes de votre série en 20 fois 2 minutes.
Cell, c'était un peu "chouchou et loulou" du polar si tu veux.
Les variantes qui marchent : filmer dans un endroit où il faut toujours beau / Faire des photos de groupe / Avoir plus de personnages principaux que la population du Botswana.
Cut est une série passion-suspens, c'est à dire que ce n'est pas à proprement parler une série à suspens, avec des armes à feu et des courses poursuites, ni totalement une série passion avec des couples homos et tout le monde qui fornique avec tout le monde, mais un peu des deux.
Il y a de l'amour,une intrigue intrigante, du truand notoire, des gens morts, des larmes, un peu de sexe, le tout sous le soleil de la Réunion parce que la passion prend moins dans un pull over à col roulé que dans un trikini fuschia.
-------- #TATONPITCHDANTAPOTCH ------------
On y raconte l'histoire de Machinette, qui vit à Montpellier avec son fils Jules en essayant d'oublier les démons qui la rongent visiblement car parfois elle fronce les sourcils d'un air rongé par des démons.
On comprend qu'elle a des problèmes d'argent et qu'elle aime bien casser des télés aux pieds des huissiers, faisant preuve d'une certaine forme d'incohérence que nous mettrons sur le dos de ses démons.
Dès le premier épisode, un homme blond à l'allure mystérieuse de vieux beau/riche/dangereux vient la voir pour lui dire qu'il veut connaître son petit fils Jules, ce qui ne nous aide pas à comprendre pourquoi Jules ressemble à Yannick Noah avec un papi blond et une maman tachée de rousseur.
Machinette fait alors quelque chose qui va devenir sa marque de fabrique : elle s'évanouit. Ce ne sera pas la dernière fois.
Quand elle se réveille dans la cour de l'immeuble (normal) elle est toute chafouine, car elle n'aime pas papi. On comprend donc qu'outre son physique de vieux beau/riche/dangereux papi est effectivement riche et dangereux.
Papi propose alors à Machinette de venir vivre à la réunion, il lui propose un job et lui promet d'être gentil. Sentant que la misère serait moins pénible au soleil avec un papi riche, Jules fait preuve d'une étonnante adaptatabilité pour un adolescent de 17 ans.
Morceau choisi :
Jules (à Machinette) "Maman, pourquoi tu t'évanouilles ?"
- Ben tu sais, chéri, quand je te disais que t'avais plus de famille à part moi ?
- Oui
- Ben je déconnais. En fait t'as un papi riche qui vit à la réunion ou ton père est mort il y a 17 ans et il veut que tu viennes
- Tu veux dire que je bouffe des nouilles chinoises à chaque repas depuis 16 ans sur un mensonge ?
- Oui
- Dislike...
...
Jules (à papi) : "vous croyez que vous pouvez venir faire évanouiller ma mère quand ça vous chante vous la bas ?"
- appelle moi Grand Père
- Okay
Au diable le lycée, les copains ... de toute façon on a plus de télé...
Quand au fait que plus personne n'appelle son grand père "grand père" depuis les années 50...
Devant un tel argumentaire, Machinette se voit contrainte d'opiner et les voici partis sous le soleil, bleu marine et blue, éblouit pareil, jusqu'à en oublier tout ... ah non ! Pardon !
Numéro 2
Par exemple : faire apparaître au fur et à mesure la raison du pourquoi du comment de la chose. Ne signifie pas mettre 4 personnes dans un cube et ne pas expliquer, à aucun moment pourquoi FOUTREDIEU ces gens étaient dans un cube ?!
Analysons un instant la situation :
Un matin, un serial killer compulsif qui aurait été victime d'une mère abusive et d'un père à bustier (autant dire qu'il est traumatisé) se serait réveillé en se disant qu'en fait, c'est pas tout ça mais ras le fion de détrousser des petites filles, marre de trancher des gorges, de couper des jambes, entre les problèmes d'obésité qui te rajoutent du boulot, celles qui suivent des cours de Krav Maga et le groupe Facebook d'interpol, c'est plus une vie. Et pas UN seul syndicat prêt à relever le défi d'ouvrir une école. Bref, y'en a marre.
Changer de carrière oui, mais tout en continuant à décimer des vies humaines, s'entend, sinon ça sert à quoi ? On a une vocation ou on va bosser à la poste, quoi merde !
Bref, donc le serial, il est en train de sérieusement revoir son plan de vie, lorsqu'il lui vient une idée.
Forcément, le mec il est super au courant du web 2.0 du participatif, tout ça, alors il pense que ce serait bien que les gens ils soient dans un endroit qui les tue, et que s'ils veulent pas mourir, il faudra qu'ils s'auto-tuent. C'est pas con. C'est gagnant-gagnant. Ou perdant-perdant selon l'endroit de la hache où se trouve ta nuque.
Et donc il commence à démarcher tranquillement et tout le monde lui fait la même réponse : "Ah nan hein !! Pas encore ! Déjà que les abrutis avec leurs secrets à la con ils m'ont laissé un bordel j'te dis pas comment, vos petits jeunes vous les gardez".
Il a beau expliquer que le concept est très légèrement plus ambitieux, rien à faire, ça veut pas.
Il n'a plus le choix que de fabriquer un cube (bon, le cube c'est ce qu'il y a de plus facile à fabriquer aussi... et c'est bien dommage parce que si j'avais été voir un film qui s'appelle "parallèlépipède rectangle" ben il aurait gagné 3 points de sympathie. Fin de la parenthèse).
Sauf que tout ça, c'est pas dit dans le film. Tu penses, sinon ce serait trop long, on serait obligé de te foutre de la Céline Dion en fond sonore.
Alors on passe là dessus.
Et des gens comme moi qui passent leur vie à se demander pourquoi, mais POURQUOI ils y sont allés dans ce cube ? T'as pas idée aussi ?
Comprenez donc l'intérêt de dérouler un minimum. Du moins si on veut avoir un fan club de 1500 personnes et non 1500 fans club de 1 personne.
C'est ainsi qu'un groupe de rédacteurs crétins ont décidé d'enfermer un mec dans une prison, sans raison apparente, avec uniquement un téléphone portable assez extraordinaire puisque celui-ci ne se décharge JAMAIS, en revanche il a une sonnerie, relativement de merde, ce qui à l'époque des sonneries Hi Fi, fait très légèrement de la peine.
D'autant qu'être interrompu pendant que tu élabore des stratégies d'évasion par "gimme the night", ça te me l'aurait mis de bonne humeur le héros, que ta série n'aurait pas eu la même gueule.
M'enfin ce que j'en dis...
Heureusement, depuis l'annulation inattendue du Caméléon en 2000, on a compris que de ne pas savoir le fin mot de l'histoire c'était nul et même dans Heroes ils ont fait l'effort de nous proposer une explication poussive et néanmoins finale.
Gageons que les scénaristes de #Cutlaserie (c'est son petit nom twitter) seront malins et qu'on saura d'ici la fin de la saison 1 qu'est ce ...
xxxxxxx ATTENTION SPOILER PIM POM PIM POM xxxxxxxxx
... qui a pu arriver à Machino, mari de Machinette, mort il y a 17 ans dans des conditions mystérieuses, et quel rapport avec cette plage sur laquelle Machinette, remuée par ses souvenirs et l'apparition d'un mec torse nu qui lui fait penser à Machino provoque chez elle une réaction que nous connaissons désormais bien : elle s'évanouit.
Machinette devrait sérieusement songer à surveiller son taux de sucre.
Numéro 3
Dans une série qui marche, il y a des morts, et du sang, et parfois des serial killer, mais toujours, grands dieux toujours une "company".
Kesseussé ?
La "company" c'est une entreprise, une association, un groupe, on sait jamais vraiment le statut juridique du truc, qui fait des choses secrètes, vraiment secrètes, dans un but abscons que l'on imagine vaguement comme "prendre en main la destinée du monde ou au moins de l'Illinois".
Cette "company", remplie de belles femmes et de vieux mecs est toujours dirigée par des salauds vicieux. C'est carrément dans les clauses. On peut même imaginer que le type qui va cliquer sur "nous rejoindre" sur le site web de la company, il voit clairement établi dans la politique RH :
"Il est conseillé d'être un salaud vicieux, sinon on va pas cesser de vous rappeler à quel point ce que vous faites vous dégoûte et peut-être même qu'un jour vous allez vous retourner contre nous en vous associant au pauvre hère que nous poursuivons pour notre seul et unique plaisir, ainsi de manière à ne pas prendre ce risque, nous vous conseillons d'avoir déjà assassiné quelqu'un sans plus de scrupules que quand vous mangez vos corn flakes le matin. Envoyez CV, LM + Références à mister@thecompany.com".
Les "company" n'ont souvent pas de nom, et quand elles en ont un c'est un nom qui ne veut rien dire comme "Le centre", "Madacorp", "Manticore" ou qui veut dire pleins de trucs comme "Wolfram & Hart", qui s'avère en fait représenter le mal et le bien et toutes choses en ce monde et rechercher pas moins que l'apocalypse, quand même.
Y'en a qui mettent les moyens en matière de série qui marche.
Dans Cell, c'est assez simple, on ne sait pas si c'est l'inventeur du cube qui s'entraînait ou si c'est le service R&D d'une company quelconque qui réalisait une étude sur la nomophobie*. D'ailleurs on ne le saura jamais, car la série est désormais introuvable.
Dans Cut, il y a L'AGENCE.
L'AGENCE est une agence qui s'appelle L'AGENCE. On l'apprend car à l'arrivée de Machinette, le fils de papi lui dit "bienvenue à L'AGENCE". C'est très malin vous me direz comme nom d'agence L'Agence.
Elle fait plus probablement des plaquettes commerciales que des plans pour détruire le monde mais on y note la déférence qui règne envers le maître des lieux.
Mise en situation :
Réunion dans la véranda entre Papi, quelqu'un qui semble être son fils, une fille dont on n'a pas la moindre idée que qui il s'agit et une femme dont on n'a pas la moindre idée non plus bien qu'on parie sur la femme de papi.
Papi parle d'un air profond et personne qui lui coupe la parole. Et quand papi a fini de parler d'ailleurs personne ne lui répond. A l'AGENCE, les brainstorming ça file droit.
Papi prend la parole : "j'ai trouvé quelqu'un pour le poste de responsable de je sais plus trop quoi mais un truc de fille qui va nous permettre de la laisser glander toute la journée pour les besoins de l'intrigue genre dir com"
Le fils : "euh mais en fait on cherchait personne"
Papi : "hé bien maintenant vous avez quelqu'un"
Le fils : "Mais j'avais promis le job a ..."
Là, le fils fait un geste vague vers la jeune fille dont on ignore qui c'est comme si lui aussi ignorait qui c'est. A croire que les auteurs l'ont trouvé tellement belle qu'ils lui ont donné le rôle avant de lui créer un personnage.
Loin de se vexer, elle reste immobile et totalement muette devant la double humiliation du mec qui la montre du doigt en lui retirant le poste promis. Aucun doute, la misère est vraiment moins pénible au soleil.
Las, ami lecteur, j'entends la protestation qui sourds au tréfonds : "il a promis un poste pour lequel il ne cherchait personne à une fille qu'il sait pas qui c'est ? Diable que cette AGENCE est mystérieuse je m'en vais revoir l'intégrale du Prisonnier pour me reposer.
Numéro 4
Ce qui fait la différence entre un soap opéra et une série ou un film à suspens, c'est la longueur de son nom. Plus la production est mièvre, plus le nom est long.
Exemple : Sous le soleil (4 syllabes)
Plus belle la vie (5 syllables)
Amour, gloire et beauté (6 syllabes)
Les mystères de l'amour (jusqu'à 7 syllabes avec l'accent du sud)
24 (deux lettres, pas mieux)
Dans cet exemple, Prison Break fait figure d'exception. En effet, nous pensons que cette série est ce qu'on appelle un "soap opéra camouflé". C'est à dire qu'elle reprend les ressorts du soap en faisant croire au spectateur qu'il se trouve dans une série à suspens.
A quels détails reconnaît-on un soap camouflé :
- La doctoresse anciennement droguée sans réel défaut, amoureuse du taulard gentil qui n'en finit pas de ne pas s'en sortir.
- Le méchant qui devient gentil, mais vraiment gentil.
- La gentille qu'on a cru morte ne l'était pas en vrai.
et j'en passe.
Mais alors ? Après le succès de Saw, The Grudge, The Ring, (the ?) Cube... que faire ?
CELL
"Cell c'est bien" s'est dit le chef de produit de chez Endemol, pas peu fier de son jeu de mot. Parce que Cell, c'est le début de Cellophane, qui est une matière assez angoissante. C'est aussi le début de Cellule, et que ça tombe bien, et aussi de Cellular Phone, qui signifie téléphone portable. Et que c'est vraiment pas con quand t'y penses.
D'ailleurs que t'y penses ou pas, c'est pas con, c'est un fait.
Alors, vous dites-vous : A quand une série la française intitulée "Court", "Flou", "Moche" ou "Vil" ?!
Hé bien fi pauvre lecteur. Depuis l'avènement des réseaux sociaux, on se vanne en hashtag pour le LOL, on se clash, on se reply, et quand c'est bien on like, du coup, quand ça va pas, quand ton chéri vient de mourir, que tu es enceinte, que tu as 17 ans et un beau père méchant, tu "fais un CUT".
Hein ?
Moi non plus je n'avais jamais entendu cette expression de ma vie, mais qui suis-je pour savoir ?
Donc Machinette a fait un CUT, donnant à la série un ton résolument WTF moderne.
Numéro 5
Innover, c'est trouver ce qui va faire la différence avec les autres séries qui marchent.
Dans 24, c'était le temps réel. Dans Games of Thrones c'est d'avoir placé Sex And The City au moyen âge. Dans Pretty Little Liars c'est d'avoir remplacé les cerveaux des personnages par des organismes unicellulaires (mais ceci fera l'objet d'un article à part entière). Dans les 4400 c'était ... on sait pas ... juste une série de merde.
Prison Break encore une fois fait figure d'exception puisque nous savons que fonder le succès d'une série sur le physique du personnage principale est un ressort utilisé dans les soaps.
On peut innover dans le format mais aussi dans la diffusion, comme House of Cards qui diffuse sa saison 1 en exclu, tous les épisodes d'un coup sur Netflix, répondant ainsi à une vraie demande de la part d'un public friand d'orgies épisodiques.
Dans CELL, ce qui innovait, c'était les deux : une websérie de 20 fois 2 minutes. Du jamais vu. Entièrement réalisé en numérique sur fond vert et que ça se voyait tellement qu'on aurait dit quand je fais des détourages à la truelle avec mon Photoshop de 2006.
C'est innovant. Que tu le veuilles ou non.
C'était également une série diffusée en exclusivité sur internet, ce qui constituait alors un acte hautement disruptif qui aurait pu être parfait si toutefois ils avaient pensé à l'archiver.
L'innovation dans CUT c'est que c'est une série transmedia. Ce qui n'a rien à voir avec le mariage pour tous.
Il n'y a pas beaucoup de fictions qui écrivent leur histoire grâce aux nouveaux outils de l'ère numérique
"Cut" se veut innovante car si les épisodes télé racontent l'histoire de Machinette, son fils Jules sera le héros d'une autre histoire qui se déclinera en hashtag et en like sur les réseaux sociaux.
Jules, présent sur Facebook et sur Twitter donnera alors son point de vue de jeune homme de 17 ans.
Et quand je dis ça, je parle bien de Jules, le personnage et non de Sébastien, l'acteur.
Lequel Sébastien est probablement fort sympathique, si j'en crois l'aperçu qui m'a été fourni par ma place privilégiée, dans le rang de l'équipe, le jour de la conférence de presse.
Fort sympathique mais moins loquace que le personnage, lorsque, prenant mon courage à deux mains et le micro dans une, je lui demandai "dis moi mon petit, n'as-tu pas peur d'être prisonnier de ton personnage en étant présent sur les réseaux sociaux avec son nom et ton image ?"
Il m'a répondu "non"
Voila voila.
Forte de cette humiliation, je me mis à réfléchir aux implications d'un tel dispositif.
Jules fera des révélations sur sa page Facebook et son compte Twitter.
Les spectateurs, eux, pourront interagir avec lui. Penseront-ils interagir avec le personnage ou avec l'acteur ?
Se peut-il qu'un spectateur qui assiste à une scène de la série (genre sa mère qui se tape le bellâtre de la plage ou qui ... allez au pif ... s'évanouit) informe Jules, au mépris des règles élémentaires du bon sens ?
Se peut-il que quelqu'un croise l'acteur dans la rue et lui court après en criant "JULES ! Arrête tes conneries Jules, rend la Rolex à Papi !"
BREF vous l'aurez compris, au petit jeu de l'innovation, la richesse de 2013 l'emporte sur l'enthousiasme de 2009. La série sera-t-elle à la hauteur, tant en matière de dispositif que de scénario, je ne le sais pas encore et vous propose de le découvrir :
Lundi 30 septembre à 18 h 45 sur France O
Demain si vous êtes sage, je vous parlerai de Murat qui fait de biens beaux bijoux et un autre jour je vous parlerai de Pretty Little Liars et de Secret Story. Reste à savoir le demain de quel jour et dans quel ordre.
Tout ce suspens...